Ça faisait pas mal de temps que je n’avais pas eu de nouvelles de mon ami Jacques. Sachant que son état de santé était incertain, qu’il se pouvait qu’il n’aille pas bien, je n’osais lui téléphoner de crainte d’avoir une mauvaise nouvelle. Ayant été victime d’une grave crise cardiaque, il y a quelques années, il est maintenant muni d’un pace maker combiné avec un défibrillateur intégré. Dans mon esprit, son cœur peut flancher à tout moment. Comme je lui avais fait parvenir les coordonnés de mon blogue et désirais connaitre sa réaction et surtout son état de santé, je pris ce prétexte pour lui passer un coup de fil. Quelle bonne nouvelle, il était tout heureux de mon téléphone et en bonne forme ce qui m’a fait penser à la chance que j’ai d’avoir des amis de la qualité de Jacques.
Oui pour moi, l’amitié, depuis bien longtemps, est une valeur de première importance. C’est aussi un cadeau inestimable qui nous aide à aimer la vie. Si j’étais poète, j’écrirais une ode à l’amitié. C‘est quelque chose qui n’a pas de prix. Je me rappelle durant ma vingtaine avoir dévoré plus d’un bouquin ayant l’amitié comme sujet. De mon primaire, de mon collège, de mon passage chez les oblats et tout au long de ma vie active tout comme celle de retraité, j’ai pu développer des amitiés solides et durables. En faire la liste, raconter les bons moments vécus avec l’un ou l’autre d’entre eux exigerait plusieurs centaines de pages. Les souvenirs sont nombreux et demeurent gravés dans ma mémoire. L’amitié a cela d’extraordinaire qu’il n’est pas exclusif, au contraire qu’il s’enrichit en se multipliant. Il me serait possible donc, de rendre un tel hommage à de nombreux autres amies et amis.
Il me vient à la mémoire des souvenirs d’événements significatifs à ce sujet. Il y a quelques années, j’étais retourné dans mon village natal pour des funérailles dans la famille et nous étions allés au cimetière rendre un dernier hommage à l’un de mes frères. Après la cérémonie, je remarquai un homme passablement du même âge que moi qui déposait des fleurs sur la tombe de son épouse. Je crus reconnaitre l’un de mes confrères de classe de mon école primaire. Je m’avançai pour le saluer. Il me reconnu immédiatement, me serra dans ses bras en me disant « c’est toi qui me protégeais contre les frères X quand nous étions en 6ème année.» Il y a de ces souvenirs qui ne s’effacent pas. Également, il y a quelques années, nous avions une rencontre d’anciens confrères de notre passage chez les oblats. L’un d’entre eux que je n’avais pas revu depuis, peut être, deux décennies, me dit : «Je veux prendre le repas avec toi, parce que tu es mon ami.» Il y a de ces amitiés que l’on peut qualifier de permanentes.
Jacques pour moi symbolise cette amitié indéfectible qui subsiste au temps et à l’éloignement qu’imposent les obligations professionnelles. Pour moi, il est l’incarnation de la bonté inconditionnelle. Quand je pense accueil et empathie, c’est à lui que je pense. Je n’oublierai jamais ce geste d’une générosité dont il est difficile de mesurer l’amplitude et la profondeur. Lui et son épouse Irena eurent ce geste exceptionnel d’adopter deux adolescents immigrants terriblement éprouvés par la mort tragique de leur mère assassinée par leur père en leur présence. Malgré les séquelles psychologiques que de tels traumatismes peuvent laissés, jamais ni Jacques ni Irena n’ont laissé tombé ce garçon et cette adolescente. Ils les ont toujours accompagnés dans leur cheminement de vie, soutenus, accueillis et acceptés. Jacques me disait récemment que, pour Irena et lui, loin de regretter ce geste d’une générosité exemplaire, ils le considèrent plutôt comme un accomplissement personnel.
C’est dans le domaine du logement social que nous avons eu l’occasion d’œuvrer ensemble. À l’invitation de Claude Lefebvre, fils de la charité, initiateur de l’organisme communautaire InterLoge Centre Sud, en compagnie d’autres intervenants du quartier dont Ghislaine mon épouse, nous avons participé à la mise sur pied de cet instrument de développement communautaire. Nous travaillions bien sur à l’amélioration des conditions de logements de nos concitoyens du quartier, mais il fallait également sensibiliser les autorités gouvernementales. Je me rappelle avoir manifesté dans les rues du quartier côte à côte avec Jacques pour solliciter l’intervention gouvernementale en faveur du logement social accompagnés d’autres travailleurs de quartier dont sœur Rachel Vinet une autre intervenante de grande qualité. Nous nous étions rendus à la maison de Radio-Canada et avec la complicité d’André Payette (Le mari de Lise Payette, aujourd’hui décédé), nous avions réussi à nous introduire à l’intérieur et c’est Jacques qui négocia une entrevue de quelques secondes pour les nouvelles de la soirée. Je crois que finalement nous eûmes gain de cause.1
Durant quelques années, Jacques et moi avons cohabité rue Saint-Denis à Montréal. À plus d’une reprise, nous avons partagé nos vacances. Une année ce fut sur la côte est américaine en compagnie de militants de la JOC dont il était l’aumônier national. Mais c’est surtout le tour de la Gaspésie et la visite d’une partie du Nouveau Brunswick que nous avons fait ensemble que je garde en mémoire. En cours de route, dans notre habitude d’aider tout le monde, nous avions pris un jeune homme et une jeune fille sur le pouce. Ils se déplaçaient ensemble, mais ne se connaissaient pas. Lui était américain et elle française. Nous les avons voyagé pendant quelques jours.


À Gaspé, nous avons pêché la morue à l’ombre du célèbre Rocher Percé que nous avons eu tout le temps d’admirer. Le retour au port d’attache fut glorieux puisque la pêche avait été bonne. Par ailleurs, la dernière journée de ce voyage m’a laissé un souvenir douloureux. La fin des vacances était à Moncton au Nouveau Brunswick et nous avions décidé d’expérimenter la fameuse côte magnétique avant de quitter. Nous y étions dès six heures du matin et bien oui, nous eûmes la sensation de monter cette côte par gravitation et par surcroit de reculons. Nous avions convenu d’être à la maison à la fin de la journée. Nous quittâmes donc le Nouveau Brunswick immédiatement après l’expérience de la fameuse côte qui dans les faits n’a rien de magnétique. Il s’agit plutôt d’une illusion d’optique. Pas longtemps après le départ, Jacques ressentit une douleur aux reins. «Encore des pierres aux reins.» me dit-il car il en avait l’habitude. La douleur était difficilement endurable. J’en compris l’intensité en ayant déjà fait l’expérience. C’est donc moi qui pris le volant. Il était impérieux de revenir chez nous le plus rapidement possible. Je me rappelle qu’entre Québec et Montréal, je maintins une vitesse moyenne de 120 miles à l’heure. La vitesse se mesurait en miles à cette époque et je n’ose encore aujourd’hui faire la conversion en kilomètres. Nous étions à la maison à l’heure du souper et Jacques put se diriger vers l’hôpital en toute quiétude. Il y a ainsi dans la vie des événements que l’on n’oublie pas et qui soudent l’amitié pour toujours.
Tant que sa santé lui a permis de le faire, Jacques s’est impliqué dans la communauté. Il est par définition un homme engagé. C’est vers Centr’Aide qu’Il dirigea son intervention sociale. Il ne manqua jamais de soutenir Irena dans son travail à Développement et Paix voué à l’entraide internationale. Il siégea au conseil d’administration de plusieurs fondations à caractère caritatives. En particulier, il a contribué à la mise sur pied de la fondation Béati, un modèle d’aide à la communauté. Sans doute, qu’il s’impliqua dans d’autres activités que l’éloignement ne m’a pas donné l’occasion de connaitre.
Jacques demeure pour moi, un exemple de bonté et de générosité. Pour moi, il est un modèle de tolérance et d’acceptation de l’autre tel qu’il est. Jamais, il n’a rejeté qui que ce soit. Toujours calme, toujours égal à lui-même, jamais il ne manifeste de colère, jamais il ne fait de crise. Il est toujours prêt à comprendre et à pardonner. Il est pour moi une inspiration que j’ai peine à imiter. C’est un grand homme dans sa simplicité. Il accepte avec le sourire les vicissitudes de la vie. Pourrais-je lui apporter autant que ce que je lui dois. Je lui garde une admiration qui me réconcilie avec ce que la vie nous apporte parfois de déceptions qui peuvent susciter en nous le découragement face aux turpitudes humaines.
1 Je me rappelle une incartade personnelle à cette occasion. Nous étions à l’intérieur et ça discutait fort pour l’interview. L’un des journalistes, impatient, nous fit la remarque : «Vous savez, il y a des gens qui travaillent ici.» Spontanément je lui rétorquai : «Il faut que vous le disiez». Il en devint coi et rougit jusqu’aux oreilles ; ce qui me valut un regard désapprobateur de la part de Jacques.
Louis Trudeau le 22 décembre 2017
Je lis tes textes avec un extrême plaisir.
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Quel bel éloge. Qui ne serait pas fier d’en avoir un pareil. Ça prend vraiment un ami pour en faire une aussi belle… sûrement mérité par ailleurs! Il ne reste qu’un point à éclaircir dans ce récit: Quelle voiture aviez-vous donc pour rouler à une vitesse moyenne de 200km/hre? Le mot « moyenne » impliquant que par moment vous rouliez plus vite que 200km/hre…. Même aujourd’hui je connais peu de voitures qui permettent de rouler à pareille allure et sans prendre le décor! Hum…. disons que vous alliez très vite!
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Bonjour Paul-Émile Merci pour ton commentaire.
Tu as raison, il se peut qu’avec le temps, la mémoire amplifie la réalité. Ce qui est certain, c’est que je voulais me rendre le plus rapidement possible pour venir en aide à mon ami. Pa r ailleurs, il ne faut pas oublier qu’à cette époque,(les années 60) il y avait moins de voitures sur les routes et sans doute moins de policiers. Quant à la voiture, je ne me rappelle pas si c’était la voiture de mon ami ou la mienne. Si c’était la mienne, c’était une Valiant(Plymouth). Voilà. Louis ________________________________
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Bonjour Louis, dans ce texte vous n’avez pas eu besoin d’être poète pour nous transmettre la beauté de l’amitié et surtout de l’amour inconditionnel que ce mot évoque quand cet amitié a soudé deux cœurs.
Peu importe le temps, le cœur ne compte pas les heures. Je souhaite seulement que mes amitiés durent et durent encore en vous lisant car vous avez su me communiquer sa préciosité. Merci!
J’ai aussi lu votre déchirement intérieur en lien avec votre médecin de famille. Moi je n’en ai pas encore ayant perdu ma médecin qui est partit à la retraite. On m’a dit que je n’étais pas payante pour un médecin ,n’ayant pas de maladie chronique j’ai du mal à en trouver un . Je suis rarement malade pour le moment mais je ne me gêne pas pour aller à l’urgence si quelque chose m’inquiète et je suis toujours bien reçue et avec beaucoup de respect. Vous avez tout à fait raison concernant cette attitude , je crois même qu’elle essayait carrément de gérer vos décisions comme si vous aviez perdu la capacité de juger de vos besoins en matière de santé et de sécurité. Avec l’âge nous ressentons un profond sentiment de vulnérabilité face à ce que nous ne pouvons plus maitriser, l’inquiétude et la peur de nos états de dépendance face au système nous gagnent. Heureusement que le docteur Massé me suit bien pour ma hanche et si j’ai des petites inquiétudes je lui demande des prescriptions de consultations. Je reste positive et j’ai hâte aux élections!
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