Naissance d’une amitié
Il y a de cela pas mal longtemps ; au début des années soixante, je crois. C’était à la fin juin, j’étais allé à Ottawa passé quelques jours de réflexion et de ressourcement en compagnie de confrères. Mon ami Omer était du groupe. Nous étions amis particulièrement du au fait qu’avec deux autres confrères au temps de nos études de philosophie, le printemps nous paraissant long, très long, nous avions décidé de faire les sucres, activité qui avait été abandonné depuis quelques années.

Il n’y avait qu’une centaine d’entailles et tout se faisait à la main, à la mitaine selon une expression courante. C’était ma tâche de faire la tournée. Pour ce faire, J’utilisais, en compagnie de Jos, un autre confrère de classe, un petit traineau sur lequel, nous avions installé un baril et c’est en tirant ce traineau que nous prenions notre exercice quotidien. Entre les cours, nous courrions entretenir le feu et verser quelques gallons d’eau d’érable dans la bouilloire.

L’alimentation du feu se faisait grâce à de vieilles planches et de vieux madriers jetés pêle-mêle dans la cour suite à la rénovation du séminaire. Comme Omer était le seul à avoir l’expérience d’avoir déjà fait les sucres, il était, sans conteste, le maître d’œuvre responsable d’entailler et de faire bouillir l’eau d’érable. En tant que sucrier, c’était son privilège de prendre la décision sur le moment précis ou l’eau était devenue sirop et de diriger l’opération délicate de le couler avec grand soin dans des contenants bien propres pour en faire profiter tous les confrères. Avoir fait ainsi les sucres ensemble pendant quelques années avait soudé notre amitié.
En route vers Maliotenam
Durant ces jours de prières et de silence, je m’entendis avec Omer pour aller passer mes vacances avec lui dans sa mission de Maliotenam1 située près de Sept-Îles. Mon ami qui est un homme prévenant et économe avait, la veille du départ, fait sa provision de vin de messe pour une année entière à Ottawa étant donné qu’il se vendait beaucoup moins cher en Ontario qu’au Québec. Il y en avait quelques douzaines de bouteilles qu’il déposa avec soin sur le siège arrière de son auto et le jour du départ, nous quittâmes dès la levée du jour. Il était entendu que le voyage se ferait en une journée, histoire d’éviter les frais de séjour en route. Nous arrêtâmes pour le dîner dans sa famille à Victoriaville et pour le souper à Betsiamites2 situé pas très loin de Baie Comeau profitant ainsi de l’accueil de confrères de la communauté.
Réception
C’est à trois heures du matin que le voyage se termina dans la cour de son presbytère. À cause de l’heure tardive, Omer décida que le transport du vin de messe vers le presbytère se ferait le lendemain. Étant en confiance, il ne pris même pas la peine de verrouiller les portes de son auto. À notre réveil, il constata que tout le vin de messe avait disparu. Ce matin là était un dimanche. Vous devinez sur quoi porta le sermon. Omer sortit une bouteille de vin vide et la déposa sur le rebord de la chaire et c’est avec un trémolo dans la voix qu’il s’adressa à ses ouailles. Il était profondément blessé et déçu car il était un pasteur dévoué et proche de ses paroissiens. Il prenait souvent leur défense et s’identifiait à leur cause.
II avait été entendu que nous partirions le lendemain matin pour la pêche en compagnie d’un autre confrère et de quatre innus du village. J’avoue que je n’en menais pas large et me posais bien des questions. Ce n’est pas sans appréhension que je me voyais partir dans le bois avec des gens dont la sobriété était un gros point d’interrogation. Comment se comporteront-ils dans la forêt ? Viendront-ils avec leur boisson ? Seront-ils en possession de leurs moyens ? Seront-ils en mesure de nous guider dans cette immense forêt ?
Prendre le train
C’est dans cet état d’esprit que j’accompagnai mes compagnons à la gare de Sept-Îles. Il fallait prendre le train direction Schefferville. Il s’agissait d’une ligne de chemin de fer de 359 miles (573 kilomètres) construite pour le transport du minerai de fer d’une ville à l’autre. Omer avisa le responsable que nous débarquerions au 46ième mile pour reprendre le train au 64ème, quatre jours plus tard. C’est ainsi que se décidait les arrêts du train. Le calcul se faisait à partir de la gare de Sept-Îles. Nous embarquâmes tout le matériel nécessaire : un canot, un moteur de moyenne puissance, les pagaies, une tente, les agrès de pêche, quelques ustensiles, nos sacs de couchage et de la nourriture pour une journée. Le menu consistait en quelques boîtes de conserve portant des étiquettes indiquant que nous dégusterions un repas de fèves au lard la première journée. Pour les autres journées, nous devions compter sur le résultat de la pêche. Ah oui, j’oubliais, il y avait aussi, bien dissimulé en quelque part, un filet de pêche pour le saumon, ce qui était illégal. Évidemment je n’étais pas au courant. C’est ainsi que nous quittâmes Sept-Îles pour une véritable expédition de pêche. Pour une aventure dans le bois, c’était dans le bois ; le dépaysement serait complet.
Nos compagnons autochtones étaient tout à la joie d’aller dans la nature là où ils sont chez eux. Dès que nous débarquâmes du train, je remarquai chez eux, un complet changement d’attitude. Durant tout le temps que nous fûmes en forêt, aucun d’eux ne prit une seule goute d’une quelconque boisson alcoolisée. Tous se comportèrent comme des gens d’une grande responsabilité. Le plus jeune qui avait 25 ans s’occupa particulièrement de moi de sorte que nous sommes devenus de bons copains de séjour dans les bois. Quant à moi, je n’avais qu’à suivre et tout irait bien. C’est comme ça que je vécus l’une des plus mémorables expéditions de pêche qu’il m’a été donné d’expérimenter.
Installer le campement
Dès notre arrivée dans la forêt, la tente fut installée à un endroit stratégique à quelques pas de la rivière Moisie afin d’éviter le plus possible les maringouins et autres moustiques particulièrement voraces en ces lieux. Puis mes compagnons allèrent couper des branches de sapin qui serviront de matelas et l’on fit un feu pour cuire les fèves au lard. Mais problème, nous n’avions pas apporté de casserole pour la cuisson. Qu’à cela ne tienne, pas très loin sur le bord de la voie ferrée se trouvait un ancien campement des travailleurs de la construction du chemin de fer. Mes compagnons y dénichèrent une espèce de lèchefrite qui avait bien dans son fond un demi-pouce d’épaisseur de rouille. Pas de problème, on la passe à l’eau et elle est prête à recevoir telle quelle toute les fèves au lard apportées. Ce fut un repas inoubliable : «À Rome, on fait comme les romains.» dit le dicton.
Pêche au saumon
Puis nous appareillâmes pour la pêche au saumon dont je fus plutôt un observateur n’ayant pas la canne à pêche particulière à ce type de pêche et, il faut bien l’avouer, n’ayant pas l’agilité physique nécessaire au lancement d’une ligne costaude en se tenant en surplomb sur le bord d’un chute les pieds trempant sur le galet mouillé. De voir de nombreux saumons tenter de remonter la chute valait le déplacement. Mes compagnons, expérimentés, savaient comment les faire mordre à l’hameçon. Ils les capturaient sans trop de peine, mais à chaque fois le saumon réussissait à se dépendre de sorte que nous dûmes revenir bredouilles et sans rien à nous mettre sous la dent pour le prochain repas. L’explication des experts fut que le débit de l’eau était plus considérable qu’à l’habitude à ce temps-là de l’année.
Pêche à la truite
Il fallut donc se résoudre à se rabattre sur une espèce de poisson moins noble à savoir la truite. Ce fut moi, en compagnie de mon jeune ami autochtone qui fut chargé d’aller pêcher la truite dans la rivière. Nous partîmes en canot, moi devant, mon compagnon en arrière. Il se comporta comme un véritable guide de pêche. Ce fut une expérience inoubliable. Il décida de l’endroit où pêcher, me laissa lancer ma ligne et me dit où la diriger : «Tu vois la roche à gauche, lance à deux pieds de distance» et hop, une truite. «Tu vois le billot qui traine, lance à trois pieds à droite.» et hop une belle truite. C’est ainsi que j’attrapai une vingtaine de truites. Puis sans qu’il n’y ait eu un seul lancé sans résultat, il me dit : «On s’en va, il n’y en a plus.» Il n’est pas nécessaire d’en dire plus pour se convaincre que dans la nature, les maîtres incontestés des lieux ce sont nos amis autochtones.
Éducation à la nature
Mais mon éducation à la vraie vie sauvage ainsi que mon admiration pour mon jeune ami amérindien ne s’arrêtèrent pas là. À un certain moment, il fut décidé de déménager le campement. Chacun fut chargé d’une partie des équipements. Pour ma part l’on me prie en pitié et l’on ne me confia que le transport du moteur du canot. Je m’y prêtai de bon cœur, mais en cour de route, je commençai à le trouver passablement lourd le changeant continuellement de la droite à la gauche et vice versa. Tout à coup, j’entendis dernière moi, mon ami qui s’en venait sifflotant tout en portant le canot sur ses épaules et plein d’autres bagages sur son dos. En passant près de moi, il agrippa le moteur et continua sa route comme si de rien n’était. «Bon je ne suis vraiment pas en forme physique, il me faudra faire de l’exercice, au retour en ville.»
J’eus également l’occasion de mesurer l’harmonie et la convivialité qui existe entre les amérindiens innus et la nature. Toujours avec mon ami de 25 ans, je me trouvai, je ne sais pas trop comment, près du confluent de deux rivières3 où nous dûmes nous cacher dans les broussailles étant donné qu’à cet endroit il y avait un Club Privé4 appartenant à de richissimes américains qui venaient de temps à autre en hydravions pêchés quelques heures pour repartir vers leur mégapole, habituellement New York. D’ailleurs, il y avait un hydravion amarré près du camp flanqué de surveillants équipés d’armes à feu dites d’épaule ; des fusils quoi. Il fallait donc être prudent car la menace était sérieuse. J’avais le sentiment de vivre un véritable film western. Nous sommes demeurés là à nous cacher durant un certain temps et c’est alors que mon compagnon m’entretint de son admiration pour le saumon et le castor. «Le saumon, il remonte la chute par lui-même, par ses propres forces, ce que même un canot munis d’un moteur ne peut pas faire. Le castor, sait faire des barrages et se construire une cabane dans la rivière. » C’est ainsi que j’eus une véritable leçon de sciences naturelles dans un décor pas banal.
Retour à Sept-Îles
Tel que prévu, le train s’arrêta au 64ème mile et on nous laissa le temps d’embarquer notre canot et le reste de nos bagages sauf le fameux filet de pêche qui n’avait pas servi durant notre excursion, mais que nos compagnons avaient soigneusement caché dans un arbre pour une prochaine fois car, m’ont-ils expliqué, qu’en le laissant sur le sol, il serait devenu inutilisable à cause des animaux sauvages qui l’auraient déchiqueté. À l’arrivée à Sept-Îles, des agents de la RCMP (La Gendarmerie Royale) nous attendaient sur le quai de la gare. Ils ignorèrent les trois blancs dont j’étais et forcèrent les gens de Maliotenam à déballer leurs bagages. Je ne pus contrôler ma colère ; je ressentais l’affront à l’égard de ceux qui étaient devenus pour moi des gens respectables et ayant des droits ancestraux. Je proposai, d’un air sarcastique, aux policiers de fouiller mes bagages à moi. Ils ne brochèrent pas et continuèrent à m’ignorer. Nous savions qu’ils ne trouveraient pas ce qu’ils recherchaient. Le fameux filet de pêche était demeuré dans les bois. Mes compagnons avaient de l’expérience et du flair. C’est ainsi que se termina l’une des expéditions de pêche que je n’oublierai pas et qui a scellé mon amitié pour mon confrère Omer.5
1 Maliotenam : aussi appelé Mani-Utenam signifie Terre de Marie. Ce nom fut donné par un missionnaire qui voulait ainsi honorer la vierge Marie. La réserve est à 13 kilomètre à l’est de Sept-Îles. Ce village amérindien a été formé lors de l’implantation de la ville de Sept-Îles où une partie de cette collectivité autochtone était établie. L’autre partie était originaire de Moisie située à l’embouchure de la rivière du même nom, soit à 20 kilomètres de Sept-Îles. Un certain nombre retournèrent à sept Iles de sorte que les membres de la nation innue de cette région a deux emplacements pour former Innu Takuaikan Uashat Mak Mali-Utenam.
2 Betsiamites est une réserve de la même nation autochtone que Maliotenam à savoir les Innus qui à cette époque s’appelaient les Montagnais.
3 Il s’agissait de la Moisie et de la Nipissis, l’un des principaux affluents de la Moisie. Ce confluent est situé au 28ème mile de la voie ferrée à partir de Sept-îles.
4 Les Clubs Privés étaient des territoires de chasse et de pêche exclusivement pour des riches de sorte que 1200 lacs étaient réservés à une petite minorité. Ils furent abolis par le premier gouvernement de René Lévesque en 1978 pour être remplacés par des pourvoiries rendant ainsi ces hauts lieux de la nature accessibles à l’ensemble de la population.
5 Merci à mon ami Omer pour sa collaboration.
Louis Trudeau le 25 décembre 2017
C’est incroyable tout ce que ces humains que sont les Premières Nations ont vécu et enduré.
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Bonjour Odette
Merci pour le commentaire. en effet , nous ne savons pas trop comment réparer. Les européens sont arrivé en Amérique avec leur tradition guerrière. Bonne journée Louis T. ________________________________
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J’ai apprécié recevoir votre souvenir comme un rappel au respect de chacun, à l’égalité et à l’ouverture du cœur. Personne ne résiste à un cœur ouvert qui se manifeste dans la confiance le sourire et l’amitié d’une expérience humaine partagée.
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Rebonjour Monique
Merci pour ce beau commentaire. Vous avez raison, chaque rencontre peut être pour nous une occasion de découvrir des richesses humaines. Il s’agit de nous habituer à les observer. cousin Louis ________________________________
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