
C’était,je crois, au cours de ma sixième année de primaire dans mon village natal. Pour la première fois, nous avions des religieuses pour nous enseigner. Auparavant c’était une maîtresse, donc une laïque qui nous faisait la classe. La venue des religieuses à Delson avaient été grandement saluée par mes parents qui d’ailleurs n’étaient pas étrangers à leur venue. Elles étaient membres de la communauté des Petites Sœurs Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe et c’est dans un esprit missionnaire qu’elles s’étaient dirigées vers la difficile municipalité de Delson. Lorsqu’elles arrivèrent par le train au nombre de six, mes frères Clément et Jules ainsi que moi-même fûmes chargés d’aller les recevoir à la gare et de transporter leurs malles à la maison qui leur servait de couvent. Nous apprîmes par la suite que cet accueil chaleureux les avait quelque peu rassurées sur les difficultés qui les attendaient dans notre milieu de réputation peu enviable.
Mais elles n’avaient pas tout à fait tort. Ce qui était normal chez nous aurait passé pour délinquant ailleurs. Nous nous battions régulièrement entre clans familiaux et les jeux se terminaient souvent par des escarmouches de sorte qu’en revenant de l’école avec une chemise ou un gilet déchiré, il nous fallait donner une explication qui habituellement était relié à un jeu dit d’équipe. Il faut dire que notre père ne détestait pas que nous soyons en mesure de nous défendre et fréquemment, il nous laissait nous tirailler dans le magasin. L’un des jeux que nous pratiquions et qui se déroulait sous haute tension était exécuté avec des marbres. Ces marbres étaient de petites boules en terre cuite. L’on creusait un trou dans le sol et chacun en misait un nombre égal. Celui qui y roulait le plus grand nombre, empochait toutes les billes. Dans notre magasin-restaurant, nous vendions de ces marbres. Ils se détaillaient au prix de 20 pour une cenne. Même à l’époque, c’tait un investissement de temps considérable pour le profit que nous pouvions en tirer. C’est alors que ma sœur Julia développa la technique de tenir cette vingtaine de marbres dans une main et en déterminait ainsi le nombre exact ce qui en simplifiait le calcul.
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La sixième et septième année était sous la gouverne de la supérieure, Sœur Sainte-Suzanne étant donné que c’était la classe des plus vieux. Il ne faut pas oublier qu’en plus, il y avait quelques filles qui continuaient individuellement la huitième et même la neuvième année. Elles complétaient les élèves de notre classe. Sœur Sainte-Suzanne était une femme mure bien en selle dans son autorité. Elle était honnête et juste à l’égard de ses élèves ; une éducatrice hors pair comme il s’en trouve très peu et elle était respectée de tous, particulièrement de mes parents.
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Mais voilà-il que nous ayant fait faire une composition française, je lui rapportai un texte qui lui sembla dépasser les capacités d’un enfant de mon âge. Elle décida alors qu’il était impossible que cette composition soit de moi et qu’elle devait avoir été dictée par ma mère. Elle décida donc de me faire avouer que c’était maman qui avait réalisé cette composition. Mais à son grand étonnement, je lui tins tête et répondis : «C’est moi qui l’ai composé.» Elle n’accepta pas ma réponse et persista à vouloir me faire avouer que l’auteur était ma mère. Je continuai obstinément à répondre : « C’est moi.» Le temps s’arrêta, il y eut un lourd silence dans la classe. Tout était paralysé et à plusieurs reprises, elle essaya de me faire avouer que la composition n’était pas de moi. Je continuais à tenir mon bout.
Nos bureaux d’élève étaient d’actualité pour l’époque. Vous savez ces bureaux d’autrefois avec une ouverture sur la partie droite du dessus pour y insérer l’encrier. Cet encrier dans lequel nous trempions nos plumes ce qui bien souvent résultait avec des taches d’encre sur les doigts qui se transposaient un peu partout dans les feuilles de notre cahier de classe. La partie inclinée consistait en un couvercle munie de charnières qui nous permettait d’y insérer nos livres de classe. Mon bureau était sur la première rangée d’en avant et il y avait quelqu’un placé juste derrière moi qui, soulevant son couvercle pour ne pas être vu de la religieuse, me soufflait par en arrière : «Dis que c’est maman, dis que c’est maman.» Mais rien n’y fit. Je demeurai consistant dans mon affirmation, si bien que Sœur Suzanne me mis en pénitence ce qui signifia une retenue d’une heure après la fin des classes. Je supportai stoïquement la punition toujours convaincu de mon innocence.
La sœur supérieure ne s’en tint pas là. Elle prit l’initiative de consulter ma mère et de lui demander si c’était bien moi qui avait écrit ma composition. Maman lui répondit que oui c’était bien moi et qu’elle n’était pas intervenue. Sœur Suzanne, à la première occasion, avoua devant tous les élèves qu’elle s’était informée auprès de ma mère et que c’était bien moi qui était l’auteur de ma composition ; ce qui mis un terme à la controverse. Ce combat là non plus, je ne l’ai pas oublié. Il est gravé dans ma mémoire.
Louis Trudeau le 19 janvier 2018