TRAGÉDIE

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Le Catherine-Legardeur fait la navette entre l’Île Saint-Ignace et Sorel

Cette histoire m’a été racontée alors que, patiemment, rendu sur l’Île Saint-Ignace, j’attendais le traversier pour aller à Sorel en compagnie de mon ami Jean-Pierre. Nous étions sortis de notre auto et nous nous étions avancé sur le bord du quai, vous savez ce quai où il y a quelques années, l’on avait retrouvé près d’une dizaine de cadavres dans des sacs de couchages résultat d’une vendetta entre groupes criminalisés. Un homme s’approcha de nous ; il retournait chez lui sur la rive sud. Inspiré par ce contexte, il nous chuchota ce triste récit.

Un couple dans la cinquantaine avait acquis la totalité d’une petite île qui baignait dans une belle rivière aux eaux calmes et inspirantes. Lorsque notre interlocuteur s’y était rendu pour la première fois, ces gens venaient tout juste d’aménager et dans leur enthousiasme d’être devenus les rois et maîtres de ces lieux à nul autre pareil, ils avaient la tête pleine de projets. «Nous allons nous débarrasser de ce vieux hangar, nous allons nettoyer les berges, installer une piscine, rénover la maison, entretenir la pelouse et quoi encore. Pour se rendre sur leur île, il y avait ce petit pont de bois pas très rassurant, quelque peu branlant, aux allures incertaines que l’on avait bien hâte de traverser pour se rendre dans ce paradis terrestre. En effet, pas de chicane de voisin, pas de contestation sur la ligne de partage des propriétés, pas de bruit de tondeuse le dimanche matin, pas de marmaille, pas d’interpellation aux enfants tel «fais attention à ceci, ne va pas là.» Pas de circulation  sur la route adjacente, pas de klaxon d’automobiliste impatient, oui un véritable paradis. La mise à neuf du pont faisait, bien sur, partie des projets à venir.

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Petit pont de bois

Notre interlocuteur continua en nous racontant qu’il n’y avait pas très longtemps, il avait eu l’occasion de retourner dans ce havre de paix. Effectivement plusieurs travaux avaient été réalisés. Le vieux hangar avait disparu, la piscine trônait au milieu de l’île. La maison avait été complètement remise à neuf ce qui démontrait sans conteste qu’il s’agissait bien d’un couple vaillant, travaillant et s’épaulant l’un l’autre pour la réalisation de leur projet. Plus particulièrement, pour ce qui est de ce fameux pont chambranlant, eh bien le maître des lieux pris la peine de l’amener l’examiner de très prêt pour lui faire la démonstration que ce pont était des plus solides puisqu’il avait fait poser, en dessous, d’impressionnantes poutres d’acier appelées poutres à âme pleine. Pour faire la preuve de la capacité de son pont, il avait raconté que la bétonnière venue pour ses réparations l’avait traversé sans encombre et qu’il en était de même lorsque le camion de vidanges venait faire sa tournée.

Tout semblait aller comme dans le meilleur des mondes, sauf que confidentiellement la dame lui avait appris qu’elle était atteinte d’un cancer et qu’ils seraient obligés de déménager avant longtemps. De son côté le propriétaire, le mena à l’écart pour lui dire : «Moi je ne partirai jamais d’ici, je vais plutôt y laisser ma peau.» C’est très perplexe et avec une appréhension particulière qu’il quitta les lieux tout en se sentant bien sécurisé en traversant le petit pont de bois ce qui ne l’empêcha pas de fixer son attention sur les deux madriers prévus pour recevoir les roues des véhicules. Histoire, peut-être, de faire baisser la tension intérieure suite à ce qu’il venait d’entendre.

Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il apprit la tragédie. La dame fut emportée par son cancer ; son mari se retrouva esseulé. Désespéré, ce dernier mit le feu à sa maison et s’y enferma probablement à l’étage. Les voisins firent appel aux pompiers. Ceux-ci, ne connaissant pas trop les lieux, n’osèrent traverser le petit pont de bois de sorte que la maison fut une perte totale et son propriétaire y perdit la vie.

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Le Félix-Antoine-Savard

Le traversier était arrivé, la barrière de sécurité descendu et le flot de véhicules s’apprêtait à prendre la route. Jean-Pierre et moi   retournèrent à notre auto pour embarquer à notre tour.  Nous gardâmes le silence tout au long de la traversée. Peut-être avions-nous besoin de réfléchir à la vie.

 

Louis  Trudeau                                                                                                  14 février 2018

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