ORL, ce qui signifie oto-rhino-laryngologie. Pas étonnant que dans ce département des «cliniques externes» de mon hôpital, l’on indique simplement ces trois lettres alors que pour l’audiologie et l’orthophonie qui partagent le même secrétariat, c’est le nom au complet que l’on a inscrit. En ORL, l’on traite tout se qui a trait aux oreilles, au larynx (gorge) et aux voies nasales. Moi, c’était pour des saignements de nez que je m’y rendais pour la troisième fois, visite de suivi bien appréciée puisque, malgré la cautérisation antérieure les saignements reviennent me hanter de temps à autre sans avertissement.
On m’appelle, je me retrouve dans le même cubicule que les autres fois. Seul, je dois donc m’assoir sur ce siège très bas sans appui, car d’un commun accord, Jean-Pierre m’a laissé à la porte de l’hôpital ; il se devait d’aller porter des documents chez son comptable et viendrait me rejoindre dans une vingtaine de minutes. J’étais très heureux qu’il profite de l’occasion pour faire une course le temps que je sois à l’hôpital. Dans une telle situation, je me sens moins dépendant de sa générosité. Par l’effet du hasard, on m’appelle beaucoup plus rapidement que prévu. Heureusement, j’ai mon déambulateur. «Oui c’est une bonne idée que d’être venu avec ce qui me sert d’appui dans les circonstances.» Je peux donc m’assoir sans trop de difficulté, gardé avec moi mon déambulateur pour m’appuyer dessus et attendre que quelqu’un vienne.
Seul dans cet environnement médical ; pour passer le temps, j’inspecte les lieux. «Oh la la, il y en a du matériel dans un si petit espace. Dire que c’est nous qui payons tout cela avec nos impôts.» À ma droite tout près de moi, il y a une machine impressionnante dont je ne parviens pas à détecter l’utilisation. De l’autre côté, il y a un autre appareil. Un jeune homme, vêtu d’un sarrau blanc, vient y fixer un tube flexible avec au bout quelque chose qui ressemble à un robinet, mais ce n’est certainement pas cela. On me sourit, sans m’adresser la parole. Quelques minutes plus tard, une dame, qui semble être une infirmière, vient chercher le même objet et quelque temps après, le sarrau blanc vient fixer à nouveau une même sorte de rallonge au même appareil. On me sourit encore, sans m’adresser la parole. Réflexion : «Je ne sais trop quelle sorte de coordination, ils exercent entre eux !».
Bon ma médecin spécialiste en ORL se présente. Elle me semble moins nerveuse que l’autre jour. Il y a une autre petite veine en arrière qui a saigné. Il faut cautériser à nouveau. Le même protocole de geler et d’attendre dix minutes. De nouveau seul dans mon cubicule, je continue mon inspection. Près du lavabo, sur le mur, à hauteur utilitaire, il y a, superposés, trois boîtes contenants des gants bleu. Sur les boîtes il est inscrit en trois langues : «gants d’examen médical en latex». «Trois dimensions : les grands, les moyens, les petits. «Pourquoi, ont-ils installé les grands en bas et les petits en haut ? Il me semble qu’ils auraient dû mettre les petits en bas, puisque les personnes qui font l’usage de cette taille de gants doivent être nécessairement plus petites que celles qui utilisent les «grands». Je me dis qu’il est fort possible que lorsque l’on a pour la première fois installé ces boîtes, quelqu’un, sans y penser, a mis les grands en dessous et depuis c’est devenu la règle partout dans l’hôpital. L’on met les grands en bas et les petits en haut. C’est comme cela que ça se fait. Tout le monde sait que les grands sont en bas et les petits en haut. C’est comme cela que ça se fait, il ne faut surtout pas remettre cela en question. «Voyez-vous tout le trouble que cela causerait. C’est comme ça que sa se fait. C’est comme ça qu’il faut faire point à la ligne.» Réflexion : «C’est vrai qu’on aurait peut-être dû y penser un peu plus la première fois qu’on les a installées, mais c’est comme ça. Que voulez-vous comme disait un ancien premier ministre du Canada.» Quelle pensée métaphysique !
Puis, il y a cette boîte de Kleenex vide sur un comptoir. «Qui dans l’hôpital à la responsabilité de remplacer les boîtes de kleenex vides ? Une autre question existentielle. Est-ce le concierge ? Est-ce le personnel infirmier ? Est-ce un préposé ? Ce n’est certainement pas le médecin. Combien de temps la boîte de kleenex va-t-elle demeurée vide ? Question sans réponse.
Finalement, ma médecin ORL se pointe à nouveau, m’avise que c’est douloureux ; je réponds être un habitué à la douleur. Elle ne dit mot, me brûle la veine et disparaît en concluant : «faites comme la dernière fois.» «Qu’a-t-elle voulu dire ? Est-ce de mettre du polysporin deux fois par jour comme elle me l’avait prescrit ou est-ce de demander de devancer mon rendez-vous de suivi comme j’avais dû le faire ?» Tout à coup je me rends compte qu’elle a déplacé mon déambulateur le poussant hors de ma portée. Me retrouvant seul, je me sens incapable, dans un premier temps, de me lever de ce siège. « Alors qu’est-ce que je fais ? Est-ce que j’attends que quelqu’un vienne dans la pièce pour une raison ou pour une autre ?» J’attends quelques minutes. Puis j’inspecte à nouveau cet appareil à mes côtés. «Y a-t-il moyen de m’appuyer dessus pour me lever ? Est-ce assez solide ?» J’essaie «Oui ça semble pouvoir me supporter.» Alors je prends le risque, me soulève et réussis à rejoindre mon déambulateur. Soupire de soulagement. Je sors du département la tête haute fier de m’être débrouillé seul. Voilà comment l’on vit une simple visite en ORL lorsque l’on a 88 ans et que l’on est à mobilité réduite.
Mais, mon aventure de la journée, ne s’arrête pas là. Jean-Pierre n’est toujours pas revenu. Alors, je retourne à la salle d’attente espérant sa venue dans les minutes à venir. «Ne devrait-il pas être déjà de retour, puisque je suis dans l’hôpital depuis plus longtemps que le temps convenu.» J’attends, une demi-heure, puis un autre quart d’heure. Alors je commence à m’inquiéter. «Pourvu qu’il n’ait pas eu d’accident. Que vais-je faire si j’ai à me débrouiller seul.» J’anticipe des solutions. Puis je me dis : «Pourquoi penser cela. Il a sans doute été retardé contre son gré ; je sais qu’en aucun cas, il ne s’attarderait inutilement.»
Puis : «Attendons encore un peu. Il est préférable de ne pas me déplacer, car c’est ici qu’il est convenu de se rencontrer.» Je regarde autour de moi. Il y a cette dame sympathique qui essaie de converser avec son entourage et il y a ce monsieur qui tantôt a fait un appel avec son cellulaire. «Le cellulaire ; j’ai laissé le mien à la maison. Pas familier avec le cellulaire, je n’ai pas le réflexe de l’apporter. Si je l’avais, je pourrais tenter de contacter Jean-Pierre. La prochaine fois, il faudra y penser.» Puis j’attends encore ; Jean-Pierre ne vient toujours pas.
«Le cellulaire ; peut-être, que je pourrais demander à ce monsieur de faire un appel pour moi. Oh la la, c’est risqué. Il ne semble pas trop accueillant. Il a plutôt un air bourru.» J’attends encore ; le temps passe. «Cela fait près d’une heure que je suis sorti de la clinique et Jean-Pierre devait être ici depuis longtemps. Le monsieur en face, je pourrais peut-être quand même m’essayer. Le pire qui peut m’arriver, c’est qu’il refuse. Je vais lui demander en me préparant à un refus ; c’est-à-dire demeuré calme et poli avec lui.» Je me lève lentement et m’appuyant sur mon déambulateur je traverse timidement l’espace entre les deux rangées de chaises pour lui expliquer ma situation. «Vous voulez que je téléphone ! Donnez-moi le numéro.» me répond-il tout heureux de m’aider. «Ça ne fonctionne pas, c’est à cause de l’endroit, je vais m’approcher des fenêtres il y a plus de chance que je réussisse.» Il se lève précipitamment et disparaît dans le corridor.
Alors la dame me prend en charge. « Moi aussi j’ai un cellulaire, mais je ne sais trop comment m’en servir. Si ça ne fonctionne pas, allez voir la secrétaire, elle va vous passer le téléphone de l’hôpital.» Le monsieur revient en disant : «Est-ce un monsieur Jean-Pierre ? Je l’ai rejoint sur son répondeur.» Me voilà rassurer, tout semble dans l’ordre, il va certainement arriver bientôt. Et le monsieur et la dame d’entreprendre une amicale conversation avec moi.
Maintenant, le temps passe rapidement et c’est durant cette conversation animée qu’arrive Jean-Pierre tout en s’excusant. Il a été retenu contre son gré. Tout heureux de le retrouver et soulagé qu’il ne lui ait rien arrivé de fâcheux, je lui présente mes deux nouveaux amis et nous quittons le cœur léger et tout souriants. Dans les circonstances le temps d’attente fut vite oublié. Je me dis que c’est peut-être notre rôle à nous les âgés de donner l’occasion aux gens de faire appel à leur bonté et à leur générosité. En effet ces deux personnes étaient très heureuses de me venir en aide. Mais pour provoquer de telles situations, il faut d’abord continuer de vivre parmi eux, malgré nos déficiences, malgré nos handicaps car si ça prend tout un village pour éduquer un enfant, ça prend aussi des âgés pour tisser et renforcer les liens entre les membres de la communauté de ce village. Cela m’est difficile d’accepter cette dépendance, cela au départ me parait humiliant ; mais à bien y penser, n’y a-t-il pas un rôle essentiel dans la société qui est celui de faire ressortir chez ses semblables que ce qui est bon et généreux en eux. N’est-ce pas ce qui les rend le plus heureux.
Voilà le récit d’une journée ordinaire ; J’espère ne pas vous avoir ennuyés. Cette journée bien ordinaire, comme bien des journées ordinaires, s’est déroulée avec ses hauts et ses bas ; ses peines, ses inquiétudes, ses angoisses, ses incertitudes, mais également ses gestes de grande humanité, ses gestes de quotidienneté bien exécutés qui rendent la vie stimulante et qui nous font dire : «Vive la Vie.» Oui surtout lorsqu’elle est vécue en temps réel au moment présent.
Louis Trudeau 15 mars 2018
Une journée peut-être ordinaire mais combien intéressante. Merci!
J’aimeJ’aime
Bonjour à Vous
Oui la vie ordinaire recèle plein de belles choses. Bonne journée à vous. Louis Trudeau ________________________________
J’aimeJ’aime
Bonjour monsieur Trudeau, heureuse d’enfin pouvoir vous lire, moi aussi depuis une année je vais en ORL régulièrement, le médecin me voit tellement vite que je ne paye pas de stationnement. J’ai fini par régler mon problème en allant voir une naturopathe, Les corticostéroïdes ont fini par avoir raison de mon système immunitaire alors je remercie le ciel d’avoir un ange sur ma route pour que je puisse reprendre une vie normale, rien n’est gagné mais petit à petit je reprend un semblant de vie normale
J’aimeJ’aime
Amusante description d’une journée comme si on y était!
J’aimeJ’aime
Bonjour Paul-Émile
Merci pour le commentaire. J’espère que nous aurons l’occasion de nous rencontrer au cours de l’été. Louis ________________________________
J’aimeJ’aime