Les adages, les proverbes, les dictons, les sentences et les maximes expriment pour moi la sagesse populaire. Plusieurs d’entre eux ont vaincu l’usure du temps et sont toujours aussi pertinents. On dit qu’en vieillissant, nous avons la tendance à les utiliser fréquemment, c’est mon cas. Mais, il y en avait un qui me tracassait et que j’avais tendance à remettre en question. C’est celui qui nous affirme que : «La vérité n’est pas toujours bonne à dire.» Je me disais : «Non, il faut dire la vérité.»Je faisais erreur, oui ce proverbe est juste.
La vérité pas toujours bonne à dire, mais quand ?
Cependant, la question qui se pose est : « Quand la vérité n’est-elle pas toujours bonne à dire? Quand ce proverbe doit-il nous revenir en mémoire pour nous poser la question à savoir si oui ou non je devrais dire ceci ou cela ? Quelles sont les circonstances, le contexte qui peut nous justifier de ne pas dire la vérité ? Comment peut-on savoir quand il est préférable de ne pas dire la vérité ? Voici ma réponse : «La vérité n’est pas bonne à dire lorsque ceux qui l’entente sont subjugués par la charge émotive qui l’accompagne de sorte que cette dernière prend le dessus sur le contenu au point qu’il est complètement ignoré par les auditeurs, particulièrement par les personnes visées et qu’ainsi celui qui l’exprime oublie son rôle, son statut vis à vis ceux à qui il s’adresse. Qu’est-ce à dire ? C’est donc lorsque la charge émotive est tellement forte qu’elle obnubile le jugement et qu’elle fait perdre de vue l’objectif visé.
Les trois éléments d’un événement
Pour bien faire comprendre mon propos, il faut d’abord rappeler cette analyse qui décortique un événement quel qu’il soit. En effet, dans tout événement, il y a toujours ces trois éléments : Le contenu, le pouvoir décisionnel et la charge émotive. Le contenu se défini souvent par l’objectif, le but à atteindre. Dans un échange, tous les acteurs ne visent pas nécessairement le même but, ce qui peut produire de la confusion si personne ne se préoccupe d’éclaircir le pourquoi de l’échange. La prise de décision se résume par qui décide quoi, ce qui signifie que chacun a son rôle dans l’interrelation. La charge émotive peut être plus ou moins contrôlée, plus ou moins utilisée à d’autres fins que le but visé. Les manipulateurs ont une longueur d’avance sur ce point. Ils possèdent l’art de s’en servir de façon dévastatrice. Une charge émotive mise au service de l’objectif est source de réussite, l’inverse risque fort de faire déraper l’échange.
Vous me direz : «Oui mais, lorsque nous conversons tout bonnement, cela ne s’applique pas.» Oui je crois que ça s’applique. Lorsque deux personnes échangent, comme l’on dit en jasant pour jaser, il reste que le renforcement des liens d’amitié est souvent un objectif commun implicite. L’autorité peut passer de l’un à l’autre dépendamment du sujet discuté, chacun reconnaissant les compétences l’un de l’autre et la charge émotive est positive de par l’amitié ainsi reconnue et renforcée. Il arrive, d’ailleurs assez fréquemment, que nous jugions qu’il est préférable de ne pas aborder tel ou tel sujet, même avec quelqu’un que nous aimons, étant convaincu que cela pourrait envenimer des relations positives par ailleurs. Ceci est particulièrement vrai à l’intérieur des familles. C’est qu’au fond, nous jugeons que notre objectif de maintenir de bonnes relations serait compromis par une trop forte émotivité et aussi que cela pourrait nuire au rôle de chacun dans les relations à venir. Ainsi donc, l’autorité reconnue n’est pas toujours hiérarchique, elle peut être ce qu’on appelle une autorité morale ou encore une compétence technique ou professionnelle.
Illustration récente.
Dernièrement, le nouveau premier ministre du Québec a parlé «d’énergie sale» au sujet du pétrole des sables bitumineux de l’Alberta. Il n’en fallait pas plus pour que nos médias parlent d’un esclandre risquant fort de nous mettre à dos le reste du Canada et plus particulièrement l’Alberta. Quelle gaffe monumentale de débutant ! Cependant l’on s’est bien gardé de se poser la question à savoir si justement le pétrole de l’Alberta est de l’énergie sale ou de l’énergie propre. Poser la question serait y répondre. En somme la morale de l’histoire c’est que : «la vérité n’est pas toujours bonne à dire.» Oui lorsque l’émotivité l’emporte sur l’analyse rationnelle de l’assertion.
Illustration célèbre

Pour illustrer plus à fond mon propos, voici un exemple que les québécois ont vécu et qui encore aujourd’hui a une charge émotive qui trop souvent l’emporte sur l’analyse rationnelle du contenu ce qui, à mon sens, confirme l’adage que la vérité n’est pas toujours bonne à dire. Il s’agit de cette bourde célèbre de M. Jacques Parizeau le soir du référendum de 1995 dont tout le monde se souvient et qu’il est inutile de rappeler. Oui il s’agissait d’une vérité qui n’était pas bonne à dire parce que l’émotivité l’emportait de loin sur le contenu de sorte que celui-ci fut complètement occulté. Aucune analyse ne porta sur le bien fondé de cette assertion. On l’interpréta comme étant une expression de racisme et s’il y a un domaine qui est surchargé d’émotivité, c’est bien le racisme. Alors, il fut de bonne guerre de blâmer le premier ministre du Québec parce que bien des gens furent outrés, choqués, insultés. N’est-ce pas que ce sont des mots empreints d’une charge émotive telle qu’elle «fait perdre la raison.»
Perdre la raison
A-t-on par la suite tenté de démontrer qu’il n’y avait aucune ethnie au Québec qui avait systématiquement voté en faveur du Non. ? On n’a pas cru bon de faire cet exercice. Il aurait fallu mettre dans l’analyse le fait que le fédéral avait sciemment fait passer le temps de probation des nouveaux arrivants de cinq à trois ans. S’il y a eu des études à ce sujet, ce furent des secrets très bien gardés. La deuxième assertion de monsieur Parizeau passa également sous silence à savoir l’argent. Là encore, je n’ai jamais vu de travail scientifique démontrant que cette assertion était fausse. On se garda bien également d’en faire l’analyse. Il aurait fallu mettre dans la balance, les argents dépensés par le fédéral ce qui de toute évidence aurait donné raison à Monsieur le Premier Ministre.
Il ne fut pas nécessaire pour les tenants du Non d’élaborer quelque stratégie que ce soit. L’émotivité alimentée par leur adversaire fut amplement suffisante pour discréditer le premier ministre Parizeau. De lui-même, il venait de tomber dans le panneau de «La vérité qui n’est pas toujours bonne à dire». Ce fut une grave erreur qui n’est pas encore liquidée aujourd’hui en 2018. Ce n’était ni le moment, ni à lui de dire cette vérité. Il aurait fallu laisser les journalistes, les analystes, les scientifiques et les historiens faire leurs commentaires. Sans doute qu’alors la vérité se serait d’elle-même imposée car la vérité peut finir par apparaisse au grand jour lorsqu’elle n’est pas obscurcit par les nuages de la trop grande émotivité et la confusion des rôles. Parfois, même les résultats scientifiques les plus évidents sont rejetés parce que la charge émotive obnubile les esprits. On n’a qu’à penser à Copernic, à Darwin et à Freud.
Reprendre l’exercice ?
Loin de moi de juger notre premier ministre d’alors. Il est facile, plusieurs années après l’événement, de faire une froide analyse de cette soirée de déception pour un homme qui avait tant misé sur ce résultat et qui y avait mis tous ses espoirs. On peut tout de même se demander ce qui aurait pu arriver si ce discours avait été autrement et que des analyses objectives avaient été réalisées. Il aurait pu par exemple, dire qu’il se réservait le droit d’accepter ou pas le résultat si serré, et qu’on ferait dans les prochains jours l’analyse pour voir si les règles du jeu établies avaient été respectées par les deux clans ; ce qui aurait alors fait ressortir l’ingérence du fédéral qui a échappé aux règles établies par le gouvernement du Québec sans tenir compte qu’il n’était pas le véritable maître des règles du jeu. Alors comment faire pour que la disproportion des forces en présence due à l’ingérence du fédéral puisse être pris en compte dans l’équilibre des moyens à la disposition des deux clans ?
Ça aurait pu être comme au tennis, lorsque l’un des compétiteurs doute de la décision d’un juge et que la révision scientifique constate que la décision du juge est dans l’erreur, alors l’on reprend le jeu. Est-ce qu’après un certain temps, l’on aurait repris le référendum en tenant compte du pouvoir du gouvernement fédéral et des provinces du Canada dans le rééquilibrage des forces en présence ? Le résultat du référendum était, à mon avis, si serré qu’il aurait été justifié de recommencer en freinant les ingérences indues de l’extérieur.
Conclusion
La charge émotive trop forte a permis aux opposants de concentrer l’attention sur ce point et lui donner une connotation raciste Enfin, je ne suis pas certain qu’en donnant cet exemple, je ne sois pas moi aussi en train de tomber dans le panneau d’exprimer une vérité qui n’est pas bonne à dire.
Louis Trudeau 14 décembre 2018