Congédiement inapproprié
Le congédiement de M. Louis Robert que l’on qualifie de lanceur d’alerte me trouble profondément. À mon avis, il s’agit d’une frasque du Ministère de l’Agriculture.1 M. Robert est une sommité dans son domaine, c’est un homme de grande expérience, c’est un homme dédié à sa profession et aux convictions qu’il a développé au cours des années consacrées au service de la population. C’est comme si le Canadien de Montréal avait mis à la porte Carey Price, son gardien de but étoile. Enfin, ce congédiement me touche personnellement puisqu’il me renvoie à des souvenirs. Il me semble que nous ne devons pas laisser passer un tel événement sans y réfléchir et le traiter comme un fait divers sans signification. Je tiens à joindre ma voix à tous ceux, j’espère qu’ils seront nombreux, qui soutiendront cet homme courageux.
Qui sont les lanceurs d’alerte.
Je pense qu’il y a un certain nombre de caractéristiques qui relient les lanceurs d’alerte entre eux. Ils m’apparaissent comme étant des personnes d’une probité exemplaire, des gens dont la droiture et les convictions ne sont pas négociables. Des gens dont l’entourage sait qu’il est inutile de tenter de leur faire faire des compromis et encore moins de corrompe. Particulièrement en ce qui concerne l’honnêteté intellectuelle, des gens à qui l’on n’ose s’adresser pour tenter de faire modifier un rapport afin de le rendre conforme soit aux désirs de l’autorité, soit des bailleurs de fonds.
Ces personnes apportent une collaboration inestimable dans une entreprise, particulièrement dans une société publique ou un ministère. Ils sont en quelque sorte les sentinelles et les vigies de la probité de leur milieu de travail. En effet, ils sont inflexibles, ils sont intraitables lorsqu’il est question de vérité et d’honnêteté. Les jeux de passe passe ça ne fonctionne pas avec eux. Ils sont particulièrement détestés des magouilleurs car ils ne sont pas manipulables. Ils n’accèdent que rarement à des postes hiérarchiques dans leur organisation. Ils craignent de perdre leur indépendance et du côté des autorités, on se méfie d’eux à cause de ce qu’ils considèrent comme de la rigidité. En d’autres mots, il est impossible de leur faire accepter des compromis en ce qui concerne l’honnêteté et la probité.
Ils sont donc un atout pour une organisation lorsque les dirigeants de celle-ci savent reconnaître leurs qualités et les encourager. Les lanceurs d’alerte sont en général des gens d’une compétence exceptionnelle. Dédiés à leur travail, ils développent souvent une savoir faire particulier dans le domaine auquel ils sont attachés. Le lanceur d’alerte n’intervint pas à tort et à travers, il agit ainsi lorsqu’il considère qu’il n’y a pas d’autre moyen d’intervenir. C’est la solution du dernier recours.
D’où vient l’appellation ? Définition
C’est d’abord en anglais par l‘expression whistleblower que nous est venu la sensibilisation à ce rôle social de première importance. C’est celui qui utilise le bruit strident d’un sifflet devant un danger qui autrement pourrait passer inaperçu. Il prend le risque d’aller à l’encontre des autorités en place puisqu’il s’adresse directement à la population.
L’expression est très significative puisqu’elle nous fait comprendre qu’on avertit la population en général, que ça sort dans le public, que la magouille potentielle est dénoncée au grand jour. C’est d’ailleurs ce qui risque de mettre les autorités en place dans leurs petits souliers car ils sont frustrés que le signaleur d’alerte n’ait pas respecté les règles de conduite qui leur assurent de garder le contrôle de la situation.
Le lanceur d’alerte dans des situations diverses
Le lanceur d’alerte peut être confronté à des situations concernant la bonne marche de son milieu de travail ou le bien de l’ensemble de la population. Lorsque c’est sa compagnie ou son organisme gouvernemental qui est en cause, il va de soi qu’il doit s’adresser aux autorités compétentes qui ont à évaluer le bien fondé de ses dires et qui par ailleurs ont le devoir de le protéger puisqu’il s’agit de l’intérêt de l’organisation. Mais lorsque ce qui est menacé déborde l’intérêt de l’organisation, qu’il y a risque que les autorités elles-mêmes soient en cause, alors la situation exige que l’alerte soit faite au grand jour puisqu’il est question du bien commun.
On pourrait aussi donner un sens large au signaleur d’alarme. On peut même dire que celui ou celle qui prend la rue pour dénoncer une injustice, un abus de pouvoir ou le refus d’agir des autorités est à sa façon un lanceur d’alerte ; mais attention il ne faut pas confondre lanceurs d’alerte et fauteurs de trouble car ces derniers se dissimulent fréquemment en lanceur d’alerte. Le lanceur d’alerte agit pour une cause ; le fauteur de trouble agit pour ses intérêts personnels. Par ailleurs les tenants du pouvoir tentent de faire assimiler le lanceur d’alerte à un fauteur de trouble. On le dépeint comme quelqu’un qui cherche la gloriole ou encore à se faire du capital politique. C’est pourquoi, il est bon de bien définir ce qu’est un lanceur d’alerte quel est son profil et dans quelles conditions il doit agir.
Interpellation personnelle
Dans les années quatre-vingt, des chercheurs de diverses universités américaines ont attiré l’attention sur ce rôle dans la société. Par l’intermédiaire d’un professeur de l’université du Québec à Montréal qui enseignait à mon épouse Ghislaine, j’ai eu la chance de prendre connaissance des travaux de l’un d’eux rattaché à l’université d’Hawaï. Dès 1985, ce chercheur, en collaboration avec des confrères d’autres universités américaines a publié deux volumes2 sur le sujet. Ces gens étaient des novateurs et le rôle des whistleblowers était pratiquement inconnu et peut-être même tabou. À cette époque. Un jour, le professeur que nous appelions familièrement Harry,3 m’a offert ces deux volumes en me disant qu’ils devraient m’intéresser car selon lui, mon profil personnel correspondait à ce rôle dans la société. J’en fus très flatté et ai précieusement gardé ces deux volumes dans ma bibliothèque.
Le cas Louis Robert
«Louis Robert, un agronome expert en grandes cultures qui cumule 32 années de service, a été congédié le 24 janvier du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) pour avoir transmis des documents confidentiels à des journalistes. Ces renseignements divulgués en mars 2018 dénonçaient l’ingérence du secteur privé dans les recherches sur l’utilisation des pesticides financées en grande partie par le MAPAQ et réalisées au Centre de recherche sur les grains (CÉROM).»
À mon avis, il y a quelque chose de scandaleux dans ce congédiement. On n’hésite pas à se débarrasser d’une compétence unique dans le ministère pourquoi ? On n’a jusqu’à ce jour trouver d’autre raison que le fait qu’il se soit adressé aux médias plutôt qu’à la protectrice du citoyen. Pensez-vous que s’il s’était adressé à un mécanisme interne, ce scandale aurait apparu au grand jour ? À mon avis, lorsque le problème est d’ordre public, on se doit d’aller dans le public pour éviter que soit étouffer l’affaire. En effet, ce qui est en cause ici, c’est la santé publique, c’est aussi l’avenir de notre agriculture.
Ce congédiement, c’est « un triste jour pour l’agronomie », affirme l’agronome Samuel Comtois. Ce dernier a beaucoup de respect pour ce que Louis Robert a fait. « Sans lui, l’histoire du CÉROM n’aurait pas éclaté, dit-il. C’est important que quelqu’un se tienne debout quand ça concerne les fonds publics. » «L’image du ministère est plus importante que la santé des gens et la gestion des fonds publics. C’est profondément inquiétant. »4
Cette histoire du CERUM me remet en mémoire la boutade de Richard Desjardins qui disait : «C’est comme confier au renard, la garde du poulailler.» Il y a donc quelque chose non seulement de scandaleux, mais également de ridicule dans cette affaire.
La dénonciation de M. Robert est d’ordre public et nous met en garde contre les puissants lobbys des compagnies. Ce qui se passe dans le ministère de L’Agriculture risque de se répéter dans d’autres ministères tant au fédéral qu’au provincial. Le puissant lobby des compagnies privées est une constante menace à l’indépendance de décisions gouvernementales. Il est difficile de s’y opposer d’autant plus que des compagnies bien connus, que nous ne nommons pas, ont la gâchette rapide pour intenter des poursuites-bâillons.
Conclusion
Un sonneur d’alerte, ça dérange, parce que oui, «il n’est pas achetable» et pas manipulable. Il est motivé par le bien commun et est même prêt à se sacrifier, à sacrifier sa carrière. Les lanceurs d’alerte sont les véritables saints de notre société. C’est à eux que nous devrions élever des monuments et inscrire leur nom sur les trottoirs de la célébrité. Ils sont souvent des héros méconnus qui paient cher leurs convictions et leur implication sociale, il faut les supporter, les féliciter et leur apporter soutien et encouragement même si ce ne sont pas toujours des gens avec des caractères faciles.
Le cas de M. Louis Robert a fait du bruit et espérons que ça va continuer, car les fondements tant de la démocratie que de la santé publique sont en cause en passant par la liberté d’expression des chercheurs. Également, il met en lumière les déficiences de la loi actuelle. Espérons qu’on y remédiera promptement.
Monsieur le premier ministre, vous souhaitez que nous soyons fiers d’être québécois. Oui Monsieur le premier ministre, tant qu’il y aura des Louis Robert, il y aura lieu d’être fier d’être québécois.
1Ministère connu sous le nom de MAPAQ, à savoir Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de L’Alimentation du Québec
2Elliston, Frederick et al., Whistleblowing Research et Whistleblowing, Managing dissent in the workplace, Praeger Publishers, 1985.
3Harry Abravanel était l’un des professeurs de Ghislaine lorsqu’elle s’est lancée dans l’aventure d’une maîtrise en Gestion Informatisée au début des années quatre-vingt à l’âge de 60 ans. C’était un prof hors norme qui s’entendait bien avec nous. Il est décédé dans un accident de voiture alors qu’il était allé rendre visite à son ami auteur de ces deux volumes. Ghislaine et moi sommes allés à la synagogue pour ses funérailles.
4 La Terre de chez nous, 06 février 2019.
Louis Trudeau 7 février 2019
Bonjour Louis.
Je partage tout ce que vous avez écrit sur ce lanceur d’alerte et la nécessité de les protéger considérant leur grande importance pour la société.
Merci!
Daniel Morin
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