
Rosaire Desrochers nous a quittés il y a . À sa façon, ce fut une personne exceptionnelle. Il nous a toujours ébahis par ses talents diversifiés. Sa simplicité était désarmante. Alors, il nous est apparu être un devoir de fixer par écrit quelques souvenirs de ce qu’il fut pour les siens et pour tous ceux qui ont eut la chance de le connaître. Oui je crois que le proverbe de mon blogue est de mise ici : Le dire, c’est bien ; l’écrire, c’est mieux.
Des talents multiples

Rosaire était technicien en communications. Son talent débordait de loin un seul métier. Il maîtrisait en autres l’électricité au point où vous pouviez être convaincu que là était sa profession. L’électricité n’avait pas de secret pour lui. On disait de lui qu’avec quelques bouts de broches, il pouvait réparer à peu près tout. Des objets que la plupart des gens jettent à la poubelle, il les récupérait et les mettaient en état de fonctionner. Dans son atelier, il avait même installé un chauffage électrique fixé à sa porte d’entrée. Il ne jetait rien, tout pouvait lui servir à réparer. Au chapitre de la récupération, il la pratiquait à fond, non par idéologie ou principe du sans déchet, mais parce qu’il savait qu’il pouvait s’en servir pour réparer ceci ou cela.

Il avait une autre passion, celle de la musique. Dès qu’il en eut l’occasion, il troqua son sarrau de technicien pour le complet de professeur de musique dans une école secondaire, ce qu’il fit pendant 37 ans. Il jouait de plusieurs instruments et plus particulièrement il excellait au violon et au violoncelle. Comme il ne faisait rien à moitié, son âme d’artiste lui inspira de convaincre chacune de ses six filles et son garçon à occuper leurs temps libres à maîtriser un instrument de musique, que ce soit la flûte, le piano ou le violon. De plus, il eut l’occasion de faire bénéficier les jeunes de son talent artistique en donnant des cours à l’école secondaire de son village.
Parmi ses nombreux faits d’armes, nous en avons retenu trois qui nous ont particulièrement impressionnés.
La panne aux Breuvages Kiri.
Saint-Félix-de-Valois possédait sa propre industrie de boissons gazeuses. C’était la compagnie Kiri reconnu particulièrement pour son essence à l’Orange. Un plombier d‘une rue voisine à Montréal, sachant que je venais passer les fins de semaine dans la région, m’avait demandé si je ne lui apporterais pas quelques bouteilles d’Orange des breuvages Kiri, ce que je fis à quelques occasions pour son plus grand bonheur. C’est ainsi que j’acquis la conviction que l’Orange Kiri était de qualité supérieure. À l’époque, cette entreprise appartenait à M. André Desroches, donc à un proche parent de Monsieur Rosaire. C’est ainsi que le fils de Rosaire, alors étudiant, obtint un travail d’été pour contribuer à l’embouteillage. Voilà-t-il qu’en pleine heure de travail, Michel revint à la maison en expliquant que l’on avait été obligé de cesser la production étant donné que les machines étaient en panne et que personne ne savait comment les réparer. Son père, sans dire un mot, traversa la rue et se rendit à pied au complexe industriel situé à quelques pas. Peu de temps après, il était de retour chez lui et indiqua à son fils qu’il pouvait retourner à son travail, les machines étaient de nouveau en service.
La locomotive de Bell Gaz
Le tronçon de la voie ferrée allant de Joliette à Saint-Félix-de-Valois a été acquis, il y a quelques années, par la compagnie Bell Gaz qui l’utilise régulièrement pour le transport de gaz naturel dans des wagons citernes. La compagnie est donc propriétaire de quelques locomotives, qui, on le comprendra ne sont pas nécessairement de la dernière génération. Alors, il n’est pas étonnant qu’elles puissent tomber en panne de temps à autre. Cette voie ferrée passe en arrière de la propriété de Rosaire de sorte qu’il a pu se rendre compte que l’une d’elles étaient arrêtée au beau milieu du champ depuis un temps anormalement long.
Intrigué, Rosaire s’approcha du mastodonte pour réaliser que depuis déjà quelques jours, on tentait fébrilement de la remettre en marche, mais on n’y arrivait pas. On avait même fait venir des spécialistes de l’étranger, sans succès. Rosaire passa quelque temps à les observer et à leur poser quelques questions sur la nature de la panne. Après un bout de temps, suite à une demande expresse de l’un des cadres de la compagnie qui connaissait bien M. Desroches, ce dernier leur suggéra une solution toute simple qui une fois mise en œuvre permis le démarrage immédiat de la locomotive. Cet événement nous démontre jusqu’à quel point il avait su développer une méthode de travail personnel qui lui permettait de systématiquement cheminer pour l’origine d’une panne quelconque. Il était de ces gens exceptionnels qui n’abandonnent jamais dans leur démarche, qui savent progresser par essai et erreur et qui ne sont satisfaits du résultat uniquement lorsque la solution au problème est découverte et maîtrisée.
Mission mystérieuse
C’était à l’époque de la guerre froide au temps où le président John F. Kennedy lors de l’incident de la baie des Cochons à Cuba avait menacé les soviétiques de tirer s’ils ne retiraient pas leurs missiles dotés de têtes nucléaires. La tension était partout palpable. Je me rappelle qu`à cette époque le gouvernement fédéral octroyait des subventions à des institutions pour se doter d’abris nucléaire. Un directeur d’un collège du Bas Saint-Laurent m’avait conté qu’il avait pu invoquer cet argument pour se faire octroyer le financement d’un corridor souterrain entre deux pavillons de son institution d’enseignement.
Les bases militaires où étaient installés des missiles balistiques intercontinentales de l’OTAN dans le pays étaient en état constant d’être immédiatement utilisé en cas d’attaque d’un éventuel ennemi venant du Nord. Nous savions tous que cet ennemi potentiel n’était autre que l’URSS. Nous espérions tous que ces armes de destruction massive ne soient jamais utilisées.
À cette époque M. Rosaire Desrochers était à l’emploi d’une compagnie de téléphone chargé d’installer diverses communications. Un jour, en compagnie de camarades de travail, il reçut un ordre plutôt intrigant. Ils devaient tous ensemble voyager dans un autobus vers une destination inconnue et secrète au point où on leur bandait les yeux au cours du trajet de sorte qu’ils ne puissent deviner vers quel endroit, on les dirigeait. À leur arrivée, ils étaient escortés par des militaires lourdement armés. On peut croire qu’ils étaient chargés de l’installation du système de communications avec les autorités de haut niveau.
Dès qu’ils mettaient les pieds sur la base militaire, ils étaient formellement avertis que tout ce qu’il pouvait voir ou observer tant à l’extérieur qu’à l’intérieur était strictement secret et qu’il leur était interdit de le révéler à qui que ce soit. Il s’agissait donc d’un secret absolu et l’on n’entendait pas à rire. En d’autres mots c’était «top secret.» Rosaire se garda bien d’en glisser un mot à qui que ce soit. Ce n’est que plusieurs années plus tard alors que le mur de Berlin était tombé, que l’URSS avait été démantelé et que les pays de l’Est tel que la Pologne, les trois pays baltes et la Hongrie avaient retrouvés leur indépendance qu’il comprit que le travail qu’on lui avait ordonné de faire l’avait été à l’intérieur d’édifices à l’intérieur desquels des missiles étaient muni d’une ogive nucléaire et qu’il s’agissait de la base militaire de La Macaza située presque à mi-chemin entre Mont-Tremblant et Mont-Laurier dans les Hautes Laurentides. Ce n’est que longtemps après cet événement qu’il se confia à des proches.
Conclusion

Étant né en 1928, M. Rosaire Desroches a vécu son enfance durant la grande crise des années vingt du siècle dernier. Membre d’une famille nombreuse, il a connu la valeur de l’argent dès son jeune âge et a appris à économiser, à ne pas gaspiller inutilement, à mettre de côté les objets inutilisés «en cas ou ça pourrait servir». À son époque pour avoir accès à une scolarisation qui dépassait le primaire, on devait avoir les moyens qui étaient rarement à la portée des familles nombreuses.

Un jour, Jean-Pierre et moi sommes allé l’interviewer afin de préparer notre livre sur les ponts de la rivière Bayonne1, histoire d’en savoir plus sur la Côte Beaubec située près de chez lui. Les informations ont largement dépassé ce sujet. Il nous a entretenus sur son enfance. Il nous a raconté qu’à peine âgé de onze ans, il épaulait son père pour la livraison du pain dans le village de Saint-Félix. Il lui arrivait de conduire le camion malgré son jeune âge et savait comment s’organiser pour éviter les réprimandes.

Rosaire, si le contexte social avait été différent, aurait probablement pu faire des études d’ingénieur. Il en avait certes le talent. Il aurait pu même être l’émule de Nikola Tesla et Thomas Edison. Sur le plan de l’expression artistique, ce fut un musicien accompli qui était fier de ses réalisations. Il fut connu et apprécié du père Fernand Lindsay. Il a dirigé plusieurs harmonies et a même fait partie d’un quatuor Joliettain avec nul autre que le père Roland Brunelle. C’est ainsi qu’il a su tirer son épingle du jeu, élever une famille, inculquer à ses enfants de belles valeurs de justice, de travail, d’honnêteté, de dévouement, de réalisation de soi tant dans la musique que dans le quotidien avec en prime la paix et la sérénité.
1 Louis Trudeau, LES PONTS de la rivière Bayonne et de ses affluents, Éditions Zone Bayonne, 2015
Louis Trudeau, Jean-Pierre Gagnon le 26 novembre 2018
Quel beau témoignage!
J’aimeJ’aime
Merci Odette ________________________________
J’aimeJ’aime