DÉCISION IMPROMPTUE

C’était de cela, il y a pas mal longtemps, c’était a une époque où le clergé avait encore du poids sur la société civile. Un jeune prêtre d’un quartier populaire de la Ville de Montréal eut à prendre une décision pour laquelle ni ses études en philosophie, ni en théologie, ni en psychologie ne lui avaient transmis des repères pour savoir dans quelle direction il devait se décider. Il eut à répondre rapidement à une demande à laquelle, il n’était pas préparé.

C’était un dimanche matin, après la messe de huit heures, un paroissien, pas des plus pratiquants, qu’il avait déjà rencontré à quelque reprises, se présenta à lui. Il était accompagné de deux ou trois de ses comparses. Pendant que le jeune prêtre enlevait les vêtements de circonstance, ce visiteur inhabituel lui dit. : «Nous avons un ami qui s’est fait ramassé par la police la nuit dernière parce qu’il était éméché et qu’il dérangeait le voisinage. Si vous venez avec nous au poste de police, ils vont accepter de le laisser sortir.»

C’est alors que le jeune vicaire d’une paroisse du bas de la Ville eut à décider si oui ou non il accompagnerait ces gens d’une moralité douteuse. D’une part, il savait qu’en y allant, il risquait fort de se mettre à dos le reste de ses confrères du presbytère qui n’avaient pas l’habitude d’une telle requête et auxquels ces gens n’auraient pas pensé une seconde à s’adresser. Par ailleurs s’il refusait, c’est la confiance que lui témoignait le peuple de la rue qui serait perdu pour l’avenir. Toujours fragile, cette confiance serait très difficile à reconquérir.

Il finit d’enlever les vêtements de circonstance et décida d’aller avec eux au poste de police. Le garçon était incarcéré   au poste No 1 au Centre Ville, c’est-à-dire le poste central, celui où se retrouvait l’état major du Service de Police. À l’étage supérieur étaient aménagées quelques cellules dans lesquelles on emprisonnait provisoirement, particulièrement aux fins de semaines, les auteurs de délits de tout acabit : les ivrognes, les voleurs de dépanneurs, les batteurs de femmes1, les batailleurs de taverne, les perturbateurs de la paix publique, les fiers à bras qui confrontent les policiers etc.

Poste de Police.jpg
Source inconnue

Alors ce groupe hétéroclite se rendit à pied jusqu’au Poste no 1, à proximité de l’imposant édifice de l’Hôtel de Ville. C’était un endroit inconnu du jeune prêtre. Nul besoin de dire qu’il ne se sentait pas particulièrement à l’aise devant cet édifice qui lui donnait froid dans le dos. Il imaginait la réception qui l’attendait : On lui demanderait qui il était, le motif de sa venue. On exigerait une pièce d’identité. On l’escorterait probablement à l’étage et dans les longs corridors menant aux cellules. Peut-être même serait-il fouillé.

Par ailleurs ses compagnons ne semblaient aucunement inquiets et blaguaient entre eux. Ils semblaient particulièrement familiers avec l’endroit. En effet, une fois arrivés sur les lieux, ils indiquèrent au prêtre par où entrer. Il n’était pas question de se présenter à la porte principale. Ils empruntèrent une porte   latérale non verrouillée probablement destinée à l’usage du corps policier. C’est ainsi qu’ils se rendirent jusqu’aux cellules sans rencontrer âme qui vive, donc sans être ni remarqué, ni questionné par une autorité quelconque. Face aux cellules, il y avait bien un gardien qui exigea que soit versée la somme de 25 dollars pour la remise en liberté du délinquant. Personne dans le groupe n’avait prévu cette exigence et il n’était pas certain, qu’un dimanche matin, le lendemain de la veille, qu’ils pourraient ramasser une telle somme entre eux. Alors le décompte commença. Le jeune prêtre mis sur la table la totalité de son portefeuille à savoir une vingtaine de dollars. Les autres ajoutèrent le peu de monnaie qu’ils avaient sur eux et il manquait toujours une couple de dollars. Alors on demanda au gardien de regarder s’il la somme manquante ne pourrait pas se retrouver parmi les objets soustraits des poches du prisonnier lors de son incarcération ; ceci évidemment avec l’approbation de ce dernier. C’est ainsi que la somme fut complétée et que les joyeux lurons purent quitter le Poste de Police No 1 sans encombre en empruntant les mêmes corridors, escaliers et sortie que pour leur arrivée.

Lighter 2.jpgTout le monde était heureux. Celui qui retrouvait la liberté, plein d’exubérance et très joyeux offrit son lighter (briquet) au jeune prêtre pour le remercier. Ce dernier accepta et décida de le garder en souvenir de l’incident car il considéra que ce geste était noble et sincère. Il le mit dans sa poche après s’être rendu compte que le briquet était brisé et inopérant. Puis, il retourna dans la sacristie pour le reste de la matinée.

Lighter 1.jpgPlusieurs années plus tard, dans une autre vie, devenu d’un autre âge, celui qui avait été le jeune prêtre d’alors, se rendit bien compte qu’en posant ce geste pas très clérical, il venait de commencer à creuser un fossé entre lui et ceux avec qui il pensait passer sa vie. Il se demanda si maintenant, il prendrait la même décision en de telles circonstances. Quoiqu’étant un début de questionnement profond sur l’orientation de sa vie, sa décision serait la même.

1 batteur de femmes ; cette expression ne serait plus convenable en 2019. Elle reflète la mentalité de l’époque.

Louis Trudeau                                                                                               30 novembre 2019

Un commentaire sur “DÉCISION IMPROMPTUE

  1. Merci pour ce nouvel article. Comme toujours, vous me faites réfléchir. Il faut continuer votre mission!

    P.-S. Avez vous connu ce jeune prêtre?

    Bonne semaine

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