L’autre jour, en me transmettant un chant breton, Jean-Pierre m’a rappelé que lorsque j’étais enfant, ma mère nous fredonnait les airs d’un auteur breton… «C’est quoi déjà ? Ah oui c’est La Paimpolaise. Comment s’appelait l’auteur de cette chanson ? Maman nous l’avait bien souligné, les chansons de ?» Puis le nom de ce chantre traditionnel m’est revenu : «C’est Théodore Botrel.» Wow, j’ai réussi à me rappeler ce nom et aussi quelques mots de cette belle et douce chanson : «J’aime Paimpol et sa falaise qui m’attend au pays breton». Puis il y avait cette autre chanson dans laquelle l’invité vagabond sortait son long couteau durant la nuit, en nous laissant entendre mystérieusement qu’il va s’en prendre à son hôte alors qu’il le plante dans la miche de pain. Oui Botrel a fait partie des poètes dont nous parlait ma mère au temps de mon enfance. Oui ces mélodies d’autrefois me rendent nostalgique, car elles enveloppent un pan doucereux, agréable de mes jeunes années. Alors, je me suis mis à réfléchir à ce qu’est la mémoire car la mémoire nous fait ainsi, à l’occasion, de beaux cadeaux.

En vieillissant, nous avons fréquemment des pertes de mémoire ou encore nous avons des blancs de mémoire. C’est toujours inquiétant. Dans le contexte social actuel, on est vite sur la gâchette pour dire : «Il est Alzheimer.» Oublier quelque chose, ne pas se rappeler de tel ou tel mot, cela peut être, en effet, un signe de cette maladie mais pas nécessairement. Alors, il me faut, avec mes 89 ans, ne pas paniquer et périodiquement me dire que je ne suis pas Alzheimer même s’il m’arrive d’oublier des mots ici et là. Pour m’en convaincre, j’ai développé ma stratégie personnelle. Au lieu d’aller m’enquérir du mot soit sur mon ordinateur, soit ailleurs, j’ai décidé d’attendre, de laisser mon cerveau se débrouiller par lui-même et étonnamment, la plupart du temps, le mot me revient comme par magie. Alors, c’est la joie de retrouver un objet perdu. Pour ne pas perdre ce mot à nouveau, je me fixe un point de repère ; par exemple par quelle lettre il commence ou autre chose. Ainsi, j’oubliais constamment le nom d’une artère de Joliette, le boulevard Antonio Barrette. Pourquoi ? Je ne saurais le dire, mais j’ai retenu qu’il commençait par A et par B et depuis ce temps le nom de cette voie urbaine me revient facilement à l’esprit. Oui notre cerveau est comme un muscle qu’il faut faire fonctionner régulièrement pour le maintenir en bon état.
Certes la mémoire est perchée en quelque part dans notre cerveau. Peut-on se la représenter comme faisant partie de ses multiples connexions, ses synopses ou encore par une toile d’araignée avec ses fils savamment agencés. On dit qu’elle en fait partie à divers endroits car la mémoire a des caractéristiques multiples, mais toute façon elle gagne à être développée et entretenue.
La mémoire a ceci d’extraordinaire de me permettre de mettre en relation, de mixer pour ainsi dire mes expériences et mes connaissances acquises au cours des ans pour les enrichir mutuellement et me faire découvrir de nouvelles pistes de solutions à plus d’un problème qui pouvait paraître insoluble à première vue. Ceci ajoute un nouvel instrument dans mon coffre à outils, un enrichissement pour mieux gérer les situations à venir, améliorer non seulement le savoir, mais également le savoir faire sans oublier le savoir être. Le temps, soutenu par la mémoire, peut ainsi améliorer tant nos connaissances que le savoir vivre et la philosophie de la vie.
La mémoire peut aussi me mettre en rapport avec ceux qui m’ont précédé comme mes ancêtres qui ont bâtis ce pays en commençant par Étienne Truteau, l’ancêtre commun à tous les Trudeau d’Amérique. Nous avons à leur égard un devoir de mémoire, non seulement pour reconnaître le courage et la détermination dont ils ont fait preuve, mais également pour nous en inspirer dans notre quotidien. Il y a aussi tous ces héros d’ici et d’ailleurs dont nous bénéficions aujourd’hui des découvertes et des inventions que ce soit pour l’avancement des sciences, de la civilisation et du savoir vivre ensemble. La liste est longue et nous avons l’embarras du choix pour nous convaincre de les imiter.

Nous avons tous des souvenirs heureux et des souvenirs malheureux. Il y a entre autres, des expériences pénibles de notre enfance qui se sont logés loin dans un recoin de notre esprit et que notre cerveau porte en lui comme une souffrance qui ne veut pas cicatriser comme un mal dont on ne veut plus entendre parler. Avec de l’aide, il est possible d’initier une guérison, mais c’est tout un programme. Soulignons le courage de celles et ceux qui osent entreprendre ce voyage, cette aventure qui permet de se redéfinir et d’aller plus haut et plus loin.
Louis Trudeau
le 24 décembre 2018
Merci pour ce billet très réaliste et touchant. Je vous souhaite de très joyeuses fêtes avec famille et amis.
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Très beau texte
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Très beau texte. Et il ne faut en rien négliger la part de l’attachement ou de l’amour, risquons le mot, que l’on porte aux connaissances et qui nous offre en contrepartie la force de bien se rappeler les choses. On dit qu’il n’est pas rare de constater que les personnes affectées sévèrement par l’Alzheimer chantent encore et toujours les chansons qu’elles ont profondément aimées ou qu’elles associent à des gens, des moments qu’elles ont aussi aimés. À l’heure où les gens laissent leurs téléphones être intelligents à leur place, l’amnésie va bientôt se répandre comme la peste des temps modernes, l’oubli de toutes choses.
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